Ces élections qui font peur à Bongo, Sassou, Issoufou et Kabila
Avec trois révisions constitutionnelles destinées à lever la limitation des mandats et trois présidentielles controversées, 2015 n’aura pas été très favorable à la consolidation de la démocratie en Afrique. Et 2016 s’annonce pleine d’incertitudes électorales.
C’est un fait : l’année 2015 n’aura pas été un grand cru pour la démocratisation en Afrique. Pas moins de trois révisions constitutionnelles ont été organisées l’an dernier pour sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels au Burundi, au Congo-Brazzaville et au Rwanda. Ce choix n’est pas un simple effet de mode mais une vraie remise en cause de ce que le politologue Mamoudou Gazibo de l’université de Montréal appelle « un acquis du constitutionnalisme africain des années 1990 ».
«Les thuriféraires des pouvoirs, accrochés à leurs privilèges, prétendent que l’avenir de leur pays dépend d’un homme, soutient le politologue Gazibo dans le hors-série n° 42 de Jeune Afrique. Or de nombreuses raisons justifient la limitation de mandats présidentiels en Afrique. (…). Le pouvoir à vie corrompt à vie : il transforme le système économique en capitalisme de bandits car les contrats sont rarement respectés, les entreprises sont accaparées par les dirigeants et leurs familles, et la richesse des uns est amassée sur le vol et l’exploitation des faibles ».
La descente aux enfers du Burundi depuis le passage en force opéré en juillet 2015 par Pierre Nkurinziza pour se maintenir au pouvoir et la gouvernance patrimoniale au Congo-Brazzaville apportent la preuve que la révision constitutionnelle sert plus les intérêts d’un homme et de son clan mais jamais la pratique démocratique.
L’année écoulée aura également consacré le recul de la démocratisation en Afrique avec la présidentielle controversée d’avril 2015 au Togo où le président sortant Faure Gnassingbé a été réélu pour un nouveau mandat de cinq ans, sur fond d’accusation de fraudes massives portées par son principal rival Jean-Pierre Fabre. On peut en dire autant des présidentielles d’octobre en Guinée et en Côte d’Ivoire qui ont permis la réélection des présidents sortants Alpha Condé avec 57,8% et Alassane Ouattara avec 83,6%.
« Dans les deux cas, affirme le politologue béninois Gilles Yabi, fondateur du Think tank WATHI, il faut bien reconnaître que les victoires par « coup KO » dès le premier tour ont découragé toute contestation sérieuse susceptible de dégénérer en violences ou en crise politique longue, mais ces deux victoires n’ont pas renforcé de manière significative la crédibilité des institutions électorales et des systèmes politiques ».
En Afrique de l’Ouest l’année électorale a, toutefois, été sauvée par la réussite de la présidentielle de février 2015 au Nigeria et le succès de la transition au Burkina Faso marquée par un double scrutin législatif et présidentiel exemplaire organisé le 29 novembre.
Risques élevés en 2016
L’année 2016 sera exceptionnelle pour l’Afrique par le nombre de présidentielles qu’elle enregistrera. Pas moins d’une dizaine de scrutins seront en effet organisés sur le continent notamment au Bénin, au Niger, au Congo-Brazzaville, au Ghana, au Cap-Vert, en République démocratique du Congo (RDC), au Gabon, en Guinée-Equatoriale, au Tchad, à Sao-Tomé et Principe. C’est le Niger qui ouvrira la marche de la longue procession électorale de l’année avec la présidentielle prévue le 21 février et à laquelle se présente le président sortant Mahamadou Issoufou.
Depuis quelques semaines, le pays connaît une poussée de tensions illustrées par la détention d’un des principaux candidats au scrutin l’ancien Premier ministre Hama Amadou, président du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/Luma FA) et la controverse autour du fichier électoral biométrique (FEB) dont l’audit en cours devrait être rendu public le 08 janvier 2016. Le climat socio-politique pré-électoral s’est même alourdi avec l’annonce le 17 décembre 2015 de la découverte d’une tentative de coup d’Etat présumée dont l’un des cerveaux serait le général d’aviation Salou Souleymane, ancien chef d’état-major de l’armée.
Dans une atmosphère bien plus sereine qu’au Niger, le Bénin organisera le 28 février son élection présidentielle pour désigner un successeur au sortant Thomas Boni Yayi. Dans les rangs de la majorité présidentielle, le choix du président Boni Yayi d’imposer le Premier ministre Lionel Zinsou comme dauphin suscite la fronde et pourrait affaiblir la coalition Force cauri pour un Bénin émergent (FCBE). La tension pourrait même monter d’un cran dans le pays si le chef de l’Etat décidait de barrer la route du Palais de la Marina (palais présidentiel à Cotonou) à son ex-allié et désormais principal rival l’homme d’affaires Patrice Talon.
Poudrière électorale en Afrique central
C’est surtout en Afrique centrale que l’année électorale 2016 promet d’être très agitée. Il y a d’abord le cas problématique de la RD Congo où le pouvoir entretient le flou artistique : le calendrier électoral n’est pas encore connu alors que le mandat du président sortant Joseph Kabila, qui ne peut plus se représenter en vertu de la constitution actuelle, arrive à terme en novembre 2016. On n’en sait pas davantage sur le financement des prochaines élections alors que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est affaiblie par le départ de son président l’Abbé Malulu. Autres inconnues du processus électoral dans ce pays de près de 80 millions d’habitants : la stratégie de l’opposition et l’avenir du dialogue politique inclusif prôné par le président Kabila.
« Il y a des inquiétudes légitimes à avoir sur le processus électoral en RD Congo. Les risques de glissement du calendrier évoqués par l’opposition me paraissent tout à fait réels, au regard des éléments encore incertains pour l’organisation des différents scrutins alors que le mandat du président Kabila se termine en fin d’année, explique le politologue Alfred Shango. En même temps, on note que l’opposition congolaise est, elle aussi, en panne de stratégie ».
En face de Kinshasa, au Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso a annoncé la tenue d’une présidentielle anticipée le 20 mars 2016 après avoir réussi à imposer le référendum constitutionnel du 25 octobre 2015 qui légalise sa candidature à un troisième mandat et saute le verrou de l’âge limite pour être candidat fixé à 70 ans. Reste désormais à savoir comment réagira l’opposition au président congolais qui n’a pas pu mettre à exécution son projet d’empêcher la tenue du référendum constitutionnel. Une de ses figures, Charles Bowao, ancien ministre de la Défense, est rentrée en novembre 2015 à Brazzaville avec pour objectif de fédérer les différents courants de l’opposition au président Sassou.
Au Gabon voisin aussi, la présidentielle dont la date exacte n’a pas encore été arrêtée promet de très fortes tensions entre le président sortant Ali Bongo Ondimba et ses opposants qui entendent remettre au centre des débats la question de l’authenticité de son acte de naissance. Si elle a réussi à mettre en place un Front uni pour l’alternance, l’opposition gabonaise ne semble pas prête à franchir le pas de proposer une candidature unique face au président Bongo lors de la présidentielle devenue à un seul tour depuis la modification constitutionnelle de 2003.
En revanche, au Cap Vert et au Ghana les présidentielles devraient se passer sans encombre respectivement en août et en décembre, les deux pays ayant depuis un moment assis une culture d’alternance démocratique. Le scrutin président pourrait, par contre, se passer avec moins de sérénité au Tchad en avril et en Gambie en novembre où règne l’inamovible Yahya Jammeh depuis 1994.
Silence embarrassé de Paris
La réaction de la France aux différents scrutins prévus cette année en Afrique sera scrutée à l’aune de l’engagement du président François Hollande de démanteler « la Françafrique » et de sa déclaration de juillet 2015 à Cotonou par laquelle il s’est fermement opposé aux révisions constitutionnelles pour permettre aux présidents sortants de se maintenir au pouvoir. La position française a paru illisible lors du référendum constitutionnel du 25 octobre 2015 au Congo avec une première déclaration du président Hollande le 21 octobre rappelant « le droit du président Sassou de consulter son peuple » suivie deux jours plus tard d’un communiqué de l’Elysée affirmant le contraire. Paris a également manifesté un silence gêné lors de la présidentielle d’octobre 2015 en Guinée, suscitant de vives critiques des opposants guinéens qui y ont vu le feu orange de l’Elysée à « l’ami Alpha Condé pour organiser sa fraude ».
La France n’a pas non plus pipé mot lors de la présidentielle en Côte d’Ivoire remportée par Alassane Ouattara alors que des opposants de poids tels que Charles Konan Banny et Mamadou Coulibaly s’étaient retirés du scrutin en estimant que les conditions de sa transparence n’étaient pas réunies. Au Niger aussi, les opposants expriment leur étonnement devant l’absence de réaction de la France sur les tensions pré-électorales et sur les rapports tendus entre le président Issoufou et une partie de la classe politique. Comme en 2009, il n’est pas sûr que Paris, qui a de gros intérêts au Gabon, trouve à redire en cas de victoire, même controversée, du Gabonais Ali Bongo Ondimba ou du Tchadien Idriss Déby allié de la France dans la guerre au Mali puis dans la lutte contre le terrorisme au Sahel à travers l’opération Barkhane dont le quartier général se trouve précisément à Ndjamena, la capitale tchadienne.
« Ce qui s’est passé au Burkina Faso en octobre 2014 et en septembre 2015 doit convaincre les Africains du fait que le changement politique est le résultat du rapport des forces qui se construit à l’intérieur du pays, notamment avec une société civile dynamique. Une fois qu’on l’a compris, on cesse de penser que le changement viendra de l’ancienne puissance coloniale », soutient un ancien ministre malien.
Quoi qu’il en soit, 2016 sera une année cruciale pour la démocratisation en Afrique. Elle va en permettre la consolidation ou le recul.
Par Seidik Abba
No comments:
Post a Comment