Saturday, 3 October 2015

RDC : les maux de la justice militaire congolaise mis en lumière

RDC : les maux de la justice militaire congolaise mis en lumière



Par Claire Rainfroy
                 
Des membres des FARDC, près de Goma, en août 2012.
 
Dans un rapport à charge, l'ONG américaine Human Rights Watch (HRW) appelle la RDC à réformer de toute urgence son système judiciaire militaire. Retour sur les principales critiques.
 
Le rapport de Human Rights Watch (HRW) est accablant pour la justice congolaise. Dans un document de 117 pages publié jeudi 1er octobre, l’organisation américaine fustige les rouages du système judiciaire, qualifié d’inéquitable et d’injuste pour les victimes et justiciables.
 
À l’origine de ce rapport, le procès dit « des viols de Minova », emblématique des graves lacunes de la justice congolaise en matière de poursuite des graves crimes internationaux, selon les associations de victimes. En novembre 2012, cette localité de la province du Sud-Kivu avait en effet été le théâtre d’atrocités commises par des soldats des Forces armées congolaises (FARDC), mis en déroute face à la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23).
 
« Tirer des enseignements de cette affaire »
 
Viols, meurtres, pillages : 39 militaires avaient été poursuivis par une cour militaire spéciale pour des crimes contre l’humanité. Mais sur les 25 accusés de viol, seulement 2 avaient été condamnés pour ce crime, 22 avaient été reconnus coupables de violations des consignes, pillages ou vol de munitions, et un autre avaient été condamné pour meurtre.
 
 
« Une énorme déception », selon Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice de plaidoyer au sein du programme justice internationale à Human Rights Watch. « Les autorités congolaises doivent tirer des enseignements de cette affaire et veiller à ce que justice soit véritablement rendue à l’avenir. Elles le doivent aux victimes », exigeait-elle. Un appel relayé dans une vidéo publiée par l’organisation, dans laquelle s’expriment certaines victimes de Minova, qui attendent par ailleurs toujours les réparations promises.
 
Suite au procès, l’organisation a listé les principales critiques adressées à la justice militaire congolaise. Objectif : endiguer l’impunité et la partialité des procès miliaires.
 
Des dossiers d’accusations fragiles 
 
Le rapport pointe ainsi le manque de solidité des dossiers d’accusation. En cause, selon l’organisation : le manque d’expérience des experts judiciaires sollicités et des avocats commis d’office, qui n’ont par ailleurs reçu aucune rétribution du gouvernement et n’ont pas pu rencontrer leur client lors des interrogatoires officiels.
 
« Les avocats désignés du barreau de Goma avaient une expérience limitée, voire inexistante, des graves crimes internationaux, et la plupart d’entre eux n’avaient jamais participé à une formation sur le droit pénal international », souligne ainsi le rapport. Un manque d’expertise qui aurait entravé l’appréhension de ces crimes complexes, et aurait provoqué des contradictions dans les procès, dont celui de Minova.
 
Les hauts-gradés peu inquiétés 
 
Autre critique de taille : l’impunité dont bénéficient les haut-gradés. Selon HRW, ces derniers, particulièrement mis en cause dans le massacre de Minova, n’ont jamais été inquiétés. « Le fait que l’accusation ait sélectionné principalement des accusés de moindre rang sème le doute quant à la volonté de l’armée de demander des comptes à ceux qui portent la plus grande responsabilité », estime ainsi le rapport, pointant ainsi une justice à double vitesse.
 
Impossibilité de faire appel 
 
Le rapport dénonce également l’impossibilité de faire appel d’une décision rendue par le tribunal militaire, prohibé par l’article 87 du code judiciaire congolais. Une spécificité contraire à la Constitution congolaise et au droit international, et dénoncée par la société civile, mais aussi les Nations unies. Plusieurs associations de victimes en ont déjà souligné l’inconstitutionnalité devant les hautes juridictions congolaises, jusqu’ici sans success.
 
Des progrès notés 
 
L’organisation note toutefois les progrès réalisés par la justice militaire. HRW en veut pour preuve les quelques 30 procès concernant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ces dix dernières années.
 
La Mission de l’ONU (Monusco) et plusieurs pays partenaires de la RDC ont donc appelé le pays à accélérer et poursuivre ses efforts pour lutter contre l’impunité et endiguer les violences sexuelles.
 
« Incurie, clientélisme, trafic d’influence, corruption »
 
De son côté, le ministre de la Justice congolais, Alexis Thambwe, a concédé que le système judiciaire devait être revu, énumérant par ailleurs les maux de la justice : incurie, clientélisme, trafic d’influence, corruption, impunité et iniquité. Alexis Thambwe a tout de même rappelé qu’un « processus de réforme du système judiciaire congolais [était] en cours », après les états généraux de la justice de mai.
 
« Nous poursuivrons avec détermination les avancées positives déjà soulignées par tous les observateurs objectifs », a ajouté Alexis Thambwe, interrogé par l’AFP. Avant d’indiquer que des juristes rédigeaient actuellement 28 textes de loi sur la base des quelque 300 recommandations faites lors de ces assises.
 
Pression sur le gouvernement congolais 
 
Human Rights Watch demande donc au gouvernement de mettre en oeuvre ces efforts. Et rappelle au pays ses engagements internationaux : « Le gouvernement congolais a l’obligation en droit international de veiller à ce que les auteurs de violences sexuelles et d’autres graves crimes internationaux tels que l’homicide, le pillage, la torture, et l’utilisation d’enfants soldats fassent l’objet d’enquêtes et de procès équitables et crédibles ». Reste que l’immense majorité des atrocités commises par les militaires et les différents groupes armés restent à ce jour impunis.
 
Jeune Afrique

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